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Prix des Azurés
17 mai 2016

Le manoir Grünsel

« J'me lève. J'sais pas où je suis. Je sais tout juste que je m'appelle Bill. J'ai la bouche pâteuse. Face à moi, un décor de film d'horreur à la française. Soit le décorateur était mauvais, soit il manquait d'argent mais la maison face à moi ne fait pas peur, juste un peu pitié. En même temps normal, pour un film français.

J'ai déjà connu des réveils difficiles, mais celui-là décroche la palme. J'ai la vague impression d'être passé par une machine à laver, essorage 2, basse température pour le coton, et que du blanc pour pas mélanger les couleurs. Put***, j'suis perdu en pleine forêt, sapé avec des vêtements qui sont pas à moi, et la première chose à laquelle je pense c'est ma machine à laver.

Bon, réfléchissons. Hier, j'ai participé à une soirée un peu trop arrosée. D'ailleurs, est que c'était vraiment hier ? Il fait toujours nuit, j'ai pour seul guide les étoiles, donc j’imagine qu'il est soit très tôt soit très tard. J'oublie ma montre, mais pas qu'il faut séparer les couleurs quand on fait une machine. Merci maman, grâce à toi j'suis vraiment mal foutu. Faut que je fasse gaffe, soit le sol est pas droit, soit je suis pas encore tout à fait sobre.

Soyons logique, on va aller vers l’espèce de maison de retraite désaffectée. Avec un peu de bol, il y aura mamie qui m'attendra avec une tasse de chocolat chaud. L'espoir fait vivre... Nan, un simple téléphone se serait le Graal.

Forcément, pour entrer dans cette baraque qui manque de s'écrouler, j'suis obligé de passer par un tunnel qui tient plus de repaire à toxicos que du hall du Hilton. A chaque pas, j'ai l'impression que mes chances de choper une septicémie décuplent. Parce que, je vous l'ai peut-être pas dit mais je suis pieds nus.

J'suis arrivé dans ce qui semble être l'entrée de cette baraque. Ça pourrait être une bonne chose si le tunnel ne s'était pas littéralement écroulé après mon passage. La bonne nouvelle c'est que je suis indemne ; la mauvaise c'est que je sais pas trop comment sortir de là maintenant. Raison de plus pour explorer cette ruine vous me direz. Comme dirait mon père, que dieu bénisse l'inventeur da la mini-lampe-de-poche-porte-clé.

Je crois que je deviens barge. Je viens de voir un mec sapé d'une blouse blanche nickel, une petite serviette noire à la main, se balader tranquillou entre deux couloirs en ruine. Je le suis. Et là je débarque, dans des couloirs blancs aseptisés, type James Bond contre Dr. No. La dernière fois que j'ai vu des scientifiques dans un labo aussi chelou, c'était dans les Totally Spies et même là j'avais pas trouvé ça aussi flippant.

J'ai vomi. Je crois que j'ai vraiment bousillé un de leurs couloirs. Ils vont avoir une facture nettoyage qui va leur rester en travers de la gorge. Je sais pas si c'est à cause de la dose d'alcool excessivement élevée que j'ai ingérée ou parce que je me suis rendu compte que ces mecs n'avaient pas d'ombre. Ouais vous

avez bien lu, pas d'ombre. Et on n'est pas dans une mauvaise série B France 3 (Nota Bene : est-ce que mauvaise série France 3, ce n'est pas un pléonasme?)! Du coup, je suis en arrêt devant l'ombre de mon bras, scotché devant le contour si familier de mes doigts. Tellement absorbé que je n'entends pas le type s'approcher de moi. Je sens juste le poids de sa main sur mon épaule. Je tourne lentement la tête. Je vois ses longs doigts, translucides à force d'être pâles. Des boutons de manchettes noirs, nacrés de légers reflets argent. Sa blouse. Son épaule. Son visage. Ses yeux noirs. Je hurle. Et je me réveille, entouré de mes amis comateux, dans la maison de cette amie qui fête ses dix-huit ans. »

 

Le psychologue referme le carnet, qu'on sent usé à force d'avoir été lu. Il prend son temps, mûrit sa réponse, et regarde son patient.

- Mon cher Bill, je peux vous appelez Bill, maintenant ? Depuis le temps qu'on se connaît...

- Oui, oui bien sûr !

- J'en reviens à mon premier diagnostic : vous avez fait un effroyable cauchemar qui vous taraude toujours, mais ça ne demeure qu'un cauchemar.

- J'sais pas si vous vous en rendez compte docteur, mais c'était plus qu'un simple cauchemar.

- Je sais et je comprends... Maintenant il faut que vous soyez raisonnable et que vous arrêtiez de chercher ce manoir, qui n'existe que dans vos délires.

- Mais je l'ai trouvé ! A vingt bornes de là où s'est déroulé la fête !

Il sort ses notes.

- Le manoir... Grünsel ! Ça ne peut pas être une coïncidence !

- Écoutez, vous deviez connaître ce manoir avant de venir et votre inconscient l'a replacé dans ce cauchemar.

- Vous pensez ?

- J'en suis sûr. Donnez-moi vos notes.

- Mes notes ?! Mais ça représente des mois de travail !

- Je sais mais c'est la seule manière pour vous de vous libérer de ce cauchemar. Donnez-les-moi.

Bill tend avec regrets ses notes au médecin qui les prend du bout des doigts et les place sous la flamme de son briquet. Une fois le document consumé, le médecin regarde son patient et dit d'une voix calme et posée qui se veut rassurante :

- Voilà, maintenant reprenez votre vie là où vous l'aviez laissée et oubliez ce triste rêve.

Les deux hommes se lèvent.

- Merci docteur. J'espère que... ça ira mieux après ça ! Mais vous savez, à la fin j'avais l'impression que j'étais à deux doigts de découvrir quelque chose d'énorme !

- Oui, oui je comprends. En tous cas reposez-vous bien et revenez la semaine prochaine, même jour, même heure.

- Oui bien sûr ! Au revoir !

Bill sort. Un vague rictus naît alors sur le visage du médecin. Il se lève, remet en place ses boutons de manchettes noirs nacrés de légers reflets argent et sort, un sourire satisfait aux lèvres.

 

ANDRE-FORDOXEL Jonathan

LOGEL Tom

2de11, Lycée Koeberlé

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